Depuis sa consécration, Hervé Le Tellier écume les plateaux de télévision et revient souvent sur ce qui fait de l’Anomalie un roman à part : ses inspirations, sa structure, ses contraintes littéraires…
Pour Sunshine, j’ai trouvé intéressant de se pencher sur la construction du prix Goncourt : des multiples arcs narratifs à l’écriture sous contrainte, en reprenant ses mots.
Découvrons ensemble les ficelles du best-seller 2020.

1. L’Anomalie suit 11 personnages principaux…
Hervé le Tellier a situé son roman dans un avion de 243 passagers. Ce chiffre précis confère tout de suite une dimension mathématique à l’œuvre. Cette donnée fixe, sur le nombre de figurants et personnages secondaires, restera donc figée tout au long du roman : nous sommes dans un huis-clos.
Puis, nous allons suivre plusieurs personnages dont les destins s’entrecroisent comme dans une grande tresse, sans que jamais le lecteur ne se perde.
Ce tour de force complexe et savamment orchestré trouve son inspiration dans l’esprit ingénieux et minutieux de l’auteur, mathématicien de formation.
Le lauréat du Goncourt n’a pas choisi la facilité car il a décidé de suivre 11 personnages principaux ! Chacun représente un genre littéraire : roman policier, sentimental, introspectif etc. Leur identité se devait donc d’être forte, bien marquée, pour que le lecteur puisse accepter et se repérer dans l’univers qui lui est proposé.
Et ce sont ces 11 personnalités, ces 11 styles littéraires, donc autant de points de vue narratifs qui vont permettre de couvrir toutes les hypothèses sur l’intrigue de l’Anomalie…

2. Un best-seller tressé comme un scoubidou…
Lorsque Hervé le Tellier évoque son processus créatif, il affirme ne pas pouvoir travailler à partir de post-its.
Au contraire, cet amoureux des chiffres a conçu en amont un plan précis de son livre, comprenant une structure symétrique qui se décompose en 3 parties : Présentation / Explication / Confrontation.
Il a également imaginé le dessin de l’avion dans lequel l’intrigue de l’Anomalie allait avoir lieu.
Le lauréat du Prix Goncourt 2020 dépeint son plan comme un scoubidou de lignes : « J’ai une ligne de couleur par personnage et ces 11 lignes se croisent et s’entrecroisent : un fil noir pour le roman policier, un fil rose pour le roman sentimental etc.».
Il organise ces fils les uns avec les autres avec des nœuds représentant les points culminants de l’action.

3. Un suspense permanent dans l’Anomalie…
Lorsqu’un roman compte beaucoup de personnages, le risque de perdre le lecteur est important. Plus qu’ailleurs, il a donc été primordial pour Hervé Le Tellier d’user de techniques littéraires éprouvées dans l’Anomalie, pour maintenir le suspense et tenir le lecteur en haleine jusqu’au bout.
Le gagnant du prix Goncourt a donc joué avec les changements stylistiques, ce qui a engendré des ruptures de rythmes permanentes.
Il a également misé sur des cliffhangers, des attaques fortes pour relancer l’intérêt à la fin de chaque chapitre et au début de chaque nouveau.

4. Incipit et excipit du prix Goncourt 2020
« Tuer quelqu’un ça compte pour rien ». Voici un Incipit qui ne laisse pas indifférent et qui plonge directement le lecteur dans le roman noir, dans l’imaginaire d’un tueur … et qui va nous pousser à vouloir en savoir plus.
Cet incipit préfigure également le questionnement permanent sur les notions de réalité et virtualité, que l’on trouvera tout au long du roman. Hervé Le Tellier l’atteste : « Si l’idée de simulation évoquée est une idée possible, la phrase « Tuer quelqu’un ça compte pour rien » prend tout son sens ».
L’excipit quant-à lui est un calligramme évoquant l’idée du destin et du temps qui passe (le sablier).
Il était important pour Hervé Le Tellier que son livre parle de lui-même et referme chaque porte qui a été ouverte, dans le denier chapitre du livre.
Lorsque le lauréat du Goncourt affirme « Je ne voulais pas frustrer mon lecteur, mais au contraire, lui donner un sentiment de complétude », il insiste sur son intention d’aller jusqu’au bout de sa logique. C’est ce qui caractérise les plus grands romans à succès.
Toutefois, la fin de l’Anomalie ne révèle volontairement rien sur l’avenir.
Ce sera au lecteur d’émettre ses propres hypothèses…

5. l’OuLiPo, ou les contraintes littéraires du Goncourt
Grand spécialiste de la littérature à contraintes et Président de l’OuLiPo, Hervé Le Tellier a donc joué avec la construction même de son roman et ses arcs narratifs multiples. Mais la complexité ne s’arrête pas là !
L’auteur a, en effet, envisagé différents niveaux de lecture et a disséminé dans l’Anomalie de nombreuses contraintes littéraires cachées pour satisfaire les passionnés du genre. Saurez-vous les deviner ?
Ping : Pourquoi le livre s’est imposé pendant le confinement - Sunshine
Ping : 5 Conseils d’auteurs pour écrire une nouvelle policière - Sunshine
Ping : Comment présenter son livre aux éditeurs ? Les conseils d’écriture de Bernard Werber - Sunshine