Dominique Grousselas - Un trésor confiné
Le réveil n’avait pas sonné à 5 heures ce matin, le week-end était enfin arrivé. La veille, j’avais pris la route et rejoins ma demeure à la campagne, une maison d’environ 100 mètres carré. Elle possédait, malgré sa petitesse, une multitude d’entrée et de niveau ; cela lui donnait un charme particulier, presque une maisonnette de conte. Sans étage, la hauteur sous plafond, m’avait permis d’aménager deux mezzanines de part et d’autres servant pour l’une de chambre, la seule de la demeure, et pour la seconde de bureau. Le toit très pentu offrait la possibilité de créer de grandes ouvertures vitrées mais je trouvais à l’époque que cet ouvrage donnerait trop de modernité à la construction datant de 1753. Toutefois, l’agent immobilier m’avait conseillé de rénover en totalité la toiture en chaume. Dans la chambre, au centre, un épais futon reposait sur deux tatamis, une armoire normande avait été remontée et adossée au mur le plus imposant, un fauteuil voltaire, ho une simple copie mais très confortable, trônait parmi un amas de caisse de vin contenant des dizaines et des dizaines de livres. A l’opposé, légèrement plus bas, le lieu était composé d’un immense bureau de ministre en bois double face. De chaque côté, en miroir, deux fauteuils Chesterfield de type capitaine des années 1950, en cuir rouge. Au rez de chaussée s’étiraient sur trois niveaux, la cuisine, la salle à manger et le salon. Me nourrissant essentiellement de graine et grand amateur de café, les éléments de l’office étaient peu nombreux : un buffet, un billot de boucher, une table en bois, et un peu d’électroménager datant de ce siècle en autre une machine à café professionnelle. Dans la pièce juste à côté, une grande table en bois et métal tout en longueur. Tout autour de la pièce, s’empilaient des écrins de picrate dans lesquelles s’entassaient des manuscrits par décade. Puis en contre bas, le salon ou devrais-je dire la bibliothèque. Trois murs de ce dernier étaient recouverts d’étagères supportant des centaines d’abécédaires de tout genre : roman, policier, biographique, historique mais un seul d’entre eux avait une réelle importance. Au milieu se faisaient face deux grands canapés en cuir Chesterfield posés à même le sol en tomettes de couleur ocre.
Après ma séance de méditation quotidienne, j’emprunte l’escalier en bois débouchant dans le séjour, l’odeur du café parfume ma demeure, les rayons du soleil pénètre avec douceur à l’intérieur au travers des nombreuses brèches à petits carreaux. Je jette un œil dans la salle principale, tout semble en place, pourtant un sentiment d’anormalité m’anime. Je ressens une présence, je me retourne, virevolte à droite, à gauche, personne. Je frissonne, je tremble intérieurement, la peur se transforme en angoisse. Je me précipite hors de la bâtisse, pas le moindre individu en vue, je regagne l’intérieur de l’antre. Je me ressaisi, je regarde plus précisément, dans chaque recoin même, une fois mon calme retrouvé. Tout semble en ordre, les objets gravés de mots sont à leur place, lui aussi, il est toujours là parmi les siens. Je n’ose à peine le toucher, l’extraire de son emplacement, le feuilleter je ne peux m’y résoudre. Jeudi, encore, il était seulement pour moi, un chef d’œuvre de littérature, un écrit peu ordinaire confortablement installé sur son étagère à l’emplacement que la loi du classement alphabétique imposait. Je l’avais déniché quelques années plus tôt lors d’un débarras d’une maison d’un ancien professeur de lettres. Les héritiers se séparant de tout.
Rassuré, je me dirigeais vers la cuisine pour me saisir de la tasse de café chaud, -ha la magie de la technologie. J’eu à peine le temps de porter le gobelet à ma bouche qu’un courant d’air me glaçait le sang. Du café sortit de son contenu, éclaboussa le sol. Je déposais l’objet de mes plaisirs gustatif et olfactif sur la table de la cuisine. De nouveau, j’avais cette sensation d’une présence, j’avais l’impression qu’on me frôlait. Mon regard, je le dirigeais vers les ouvertures, je vérifiais rapidement chacune, elles étaient toutes bouclées de l’intérieur. Ma main agrippait la poigné de la porte d’entrée du salon, quand plusieurs ouvrages quittèrent leur emplacement. Je ne comprenais pas, ma gorge était serrée, j’escaladais les marches, le même phénomène s’était produit dans la chambre et le bureau. Reprenant mes esprits, je remettais chaque beauté là où il devait se trouver exactement. Sûrement un tremble de terre, pensais-je, plus pour me rassurer.
Je me faisais un autre café, le premier étant trop froid à mon goût. Je le dégustais assis dans le canapé, face à lui qui en peu de temps avait changé. Je le fixais, je me posais beaucoup de questions. Sans doute fatigué par les toutes émotions matinales, je m’allongeais et m’endormi rapidement.
Un très fort vacarme me sorti avec effroi de mon sommeil. Je sursautais, je me levais rapidement, je constatais que des livres étaient sur le sol mais pas n’importe lesquels, les-mêmes. Ailleurs c’était la même chose. En quelques minutes, toutes les œuvres tombées, étaient sur la table de la salle à manger, alignées de A à Z. Je les regardais, je les scrutais, allant parfois à présenter la quatrième de couverture. Je ne voyais rien, tout ceci n’avait pas de sens. Pourquoi ceux-ci. Je possédais dans cette maison environ 2 400 volumes. Je commençais à les ranger différemment quand mon regard se porta sur lui. Après avoir essayé de multiples combinaisons, j’en tentais une nouvelle. Je pris chaque initiale de l’auteur et la première lettre de chaque mot du titre. Lorsque je découvris l’énigme ma tête se mit à tourner.
Je retrouvais mes esprits, j’étais allongé sur le jonc de mer. Je me relevais et prenait place sur une chaise. Je notais sur mon carnet ma découverte. J’ai toujours un carnet sur moi, je note comme cela toutes les idées que je peux avoir pour mon prochain livre. Mais depuis plus de quatre ans, je n’ai rien écrit, rien vendu de neuf, et l’argent de mes ventes passées s’épuise. J’étais venu pour lui, je ne quittais presque plus Paris, pour ce qu’il représentait désormais. Je possédais une des rares premières éditions restantes dont un exemplaire s’était vendu quelques mois auparavant 6 387 500 livre sterling. Étant bientôt sans sou, je souhaitais vendre le seul bien d’une très grande valeur pécuniaire en ma possession. Mais après ce que je venais d’écrire, je ne pouvais m’y résoudre. Je ne croyais pourtant pas à ces sottises d’esprit mais je commençais très sérieusement à douter. Je devrais me résoudre trouver une travail et terminer les petits boulots de survie.
Normalement, je devais repartir seulement lundi matin, mais l’idée de passer une autre nuit à la campagne dans ce lieu me stressait. Je décidais de rentrer à Paris dans mon petit appartement. Par précaution, la raison de ma venue se retrouvait enfermé dans une caisse en bois, elle-même enfermée dans une caisse métallique « cadenassée » et enterrée en bordure de forêt.
Je me retrouve seul, après quelques heures de route, je m’installe devant ma machine à écrire et commence à enfoncer les touches les unes après les autres. Les pages s’empilent, les tasses à café se remplissent. Le mot écrit plus tôt est posé sur mon bureau juste côté de la lampe. Je frissonne quand je le relis « Ne te sépare jamais de moi, Les contes de Canterbury, Geoffrey Chaucer ». Je n’ai pas vu la nuit tomber, le jour se lever, mes doigts frappent, mon crayon de bois griffonne, barre, une nouvelle pile est terminée, revue et corrigée. Lundi, j’apporterai le manuscrit à mon éditeur, « Le mystère de Canterbury ».
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