Lauriane Gaillardo - Le poète et la mort
Combien de temps me reste-t-il à vivre dans ce monde perdu ? Se demande le poète.
Ce jour-là l’hiver semblait éternel. Partout où son regard se posait, un horizon scintillant de neige et de glace l’entourait. Il se souvint alors du commencement.
« D’une douleur et d’un souffle naquit l’enfant, son sourire émerveilla la mère en un instant. »
La douceur de vivre des premiers jours ne s’efface jamais. Nature sauvage et lac paisible. Jeux dans les champs, les histoires de maman et l’imagination qui s’éveille à d’autres mondes. L’immensité du ciel étoilé, les aurores boréales de sa Finlande natale réveillèrent en Aleksi le pouvoir de crée des mondes avec les mots. Encore innocent, l’enfant ne créa que le bien.
« Du rêve et de l’inconscient émergea un nouveau monde, un continent magique sortit des eaux profondes. »
Chaque jour et chaque nuit, l’adolescent qu’était devenu Aleksi, noircissait de noir des pages blanches. Cependant, la douceur de son enfance disparaissait peu à peu. Ange blond aux yeux bleu aussi profond que l’océan, il s’enfermait de plus en plus dans ses mondes imaginaires. Là au moins, nul ne lui faisait du mal, nul ne faisait de guerre, nul ne détruisait la nature comme dans le monde qui l’entourait. L’envie de vivre loin de tout grandissait en lui. Et l’adolescent créa un monde complexe.
« Ukko, Dieu suprême entend mes pleurs qui t’appellent. Ne vas-tu point venir guérir les âmes humaines de leur désir ? » implorait le poète.
Aleksi le poète avait beau chanter ses poèmes avec conviction, Ukko ne répondait pas. Ce dieu de tonnerre était peut-être trop colérique pour répondre à l’appel d’un simple humain. Mais le poète ne perdait pas espoir. On en est pleins lorsqu’on est jeune. Puis le temps passa…
« L’obscurité disparait au contact de son aura d’or, c’est pourquoi je l’espère jusqu’au l’aurore. »
Elle lui apparut comme un miracle. La belle créa un nouveau monde en lui et ses poèmes se parèrent de roses. Le poète amoureux changea son regard. Devenu jeune homme, il se détourna des problèmes du monde et se mit à écouter les vagues. Elles lui chantaient d’aimer, elles lui chantaient de changer et d’espérer. Il suffit d’un regard vert et vers lui. La caresse de ses longs cheveux noir, la douceur de sa peau blanche, son sourire et son aura solaire détruisirent toute rébellion. Le monde ainsi sauvé pouvait continuer d’évoluer sans les poèmes assassins d’Aleksi. Le jeune créa un monde de joie.
« L’orage gronda si fort que tout s’écroula autour de lui. L’innocence disparut, l’ange devint déchu et tout devint nuit. »
La sirène l’avait envouté pour mieux le perdre. Aleksi fit alors grandir en lui l’amertume et ses mondes connurent la tempête. Il aurait abandonné son royaume intérieur pour elle. Il aurait abandonné l’or de ses vers et les mondes merveilleux de son être. À présent il vivrait dans l’ombre de son cœur. En avait-il seulement un encore ? Ukko n’avait pas répondu à ses appels. Ukko avait laissé partir la belle vers un autre que le poète. Alors fou de rage, il brula ses poèmes et oublia son don de manier les mots des maux. L’adulte créa un monde de haine.
« Par trois fois son cœur se brisa, aucun sortilège ne le sauva »
Ukko ne venait toujours pas. Le poète avait pourtant repris le chemin de l’écriture pour exorciser sa douleur. Seul, mais aimé des siens, il avançait dans ce monde cruel. Il trouva la force de continuer sa vie. Il écrivit de nombreux poèmes, sur de nombreux sujets. Il recréa des mondes et lorsqu’il devint père, il trouva auprès de ses enfants, les oreilles les plus attentives.
Que de bonheur, en ces jours-là, que de plaisir autour du feu. Il finit par oublier Ukko et créa un monde féerique.
« L’horloge du temps cruelle enlève à nos cœurs les âmes sœurs et les emmène avec elle. »
Le blond de ses cheveux devint blanc. La mort frappa. Sa femme partit en premier rejoindre le monde de Tuonela, le royaume des morts. Le poète écrivit pour elle les vers les plus tristes et les plus graves. Son cœur se brisa à nouveau, mais la douceur de la vie passée lui offrit la possibilité de continuer et le temps passa. L’adulte vieillissant créa un monde de solitude.
« Sagesse pourquoi viens-tu quand sonne à la porte, la fin d’une vie vécue. »
Le poète regardait la neige de sa Finlande natale lorsque son dernier souffle vint. De ses mains glissa une feuille blanche noircie de ses derniers vers.
« De ta blancheur je m’en vais, vers d’autres mondes à présent je serais.
La légende raconte, qu’au moment où il partit vers Tuonela il dit :
– Tu es enfin venue Ukko. Depuis tout ce temps, toute cette vie je t’ai espéré, imaginé puis oublié.
Depuis ce jour, lorsque la neige tombe, on entend les poèmes d’Aleksi murmurer au gré du vent dans les forêts de Finlande. On dit qu’il a choisi de rester ici pour inspirer ceux, qui comme lui, utilisent les mots comme pouvoir de création.
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