– « Ouvre ta boîte à rêves Anna !
– Non, Josh, je t’ai dit de laisser tomber. Arrêtes un peu avec ça, tu as entendu le médecin, je suis condamnée, oublies les rêves, c’est la fin Josh.
– Il t’a dit vingt-quatre heures ? quarante-huit heures ? non ! alors ouvres là et monte dans le van ,on y va ! »
Anna a appris sa maladie, l’année de ses vingt-quatre ans. Gymnaste confirmée, elle n’avait qu’une envie, intégrer l’équipe de son université. Grâce à Josh, le gardien du gymnase avec qui elle avait noué une belle amitié, elle avait un accès privilégié a la salle de gym. Elle se levait à l’aube, chaque jour, et s’entrainait d’arrachepied. Josh, prenait son café en la regardant, il la trouvait belle et brillante, selon lui elle était la plus douée du campus.
Ses derniers jours, il avait remarqué de légers changements, ses chevilles semblaient plus fragiles. Anna aussi le savait, elle portait maintenant des chevillières bien serrées et prenait soin de les échauffer davantage. Malgré cela, quelque chose clochait, elle maitrisait pourtant chaque mouvement à la perfection mais parfois une de ses chevilles flanchait.
Elle décida tout de même de passer les concours d’entrée pour intégrer l’équipe. Josh était présent ce jour-là, il sentait la fatigue de plus en plus fréquente chez Anna et son inquiétude était palpable. Derrière la vitre de l’issue de secours, il souriait à Anna pour l’encourager, elle inspira profondément en le regardant, et partit prendre place devant la poutre.
Quand vint son tour, elle s’élança pour son programme, tout était parfait, elle excellait, il le savait. Elle avait cette grâce évidente, le jury ne pouvait pas s’y tromper. Mais sur son dernier geste, une de ses chevilles se bloqua, Anna tomba sur le tapis, grimaçant de douleur, et de déception.
Josh se précipita, et à l’aide d’un entraîneur ils regagnèrent les vestiaires.
– Fichue cheville, je ne comprends pas pourquoi elle m’a lâchée comme ça ! C’est foutu maintenant, je n’intégrerai jamais l’équipe !
– Anna, tu as fait de ton mieux et c’était magnifique. Tu es fatiguée ces derniers temps tu devrais te reposer et consulter un médecin.
– Ça va Josh ! Tu peux dire que j’ai été nulle, chuter au dernier moment, quelle plaie !
– Il y a surement une raison, tes chevilles sont fragiles ces derniers temps tu devrais voir le médecin je t’assure.
– Ah oui tiens super idée ! Comme ça je prends le risque de ne plus faire de gym de l’année !
– Et même s’il te prescrit un peu de repos, ça ne t’empêchera pas de repasser les tests de deuxième année.
– C’est dans un an Josh ! tu ne te rends pas compte de l’importance que ça avait pour moi d’y accéder ! Laisse-moi encore l’espoir de gagner quelques points en sport pour ma moyenne. A défaut de pouvoir intégrer l’équipe, j’aurais au moins le droit de passer les programmes standards.
Malgré les recommandations de Josh, Anna continua à s’exercer chaque jour, mais les signes de fatigues musculaires étaient de plus en plus fréquents. Un matin, Anna n’a pas réussi à se relever d’une énième chute.
Après des semaines à l’hôpital et des séries d’examen, le verdict tomba. Anna regardait le médecin sans aucunes réactions, elle avait le regard vide, les pleurs semblaient tous bloquer dans un endroit inconnu entre son cœur et sa gorge. Ils étaient maintenant une ribambelle de blouses blanches devant elle, tentant chacun à sa manière de lui expliquer une maladie dont elle n’avait jamais entendu parler. Anna s’en fichait. Elle les trouvait tous aussi austères les uns que les autres. Elle ne voyait pas une once d’émotion dans leurs yeux, elle sentait qu’ils répétaient un discours mille fois répété. Des phrases bien tournées, des mots surement censés amoindrir sa peine.
Elle, ce qu’elle voyait c’était que sa route allait s’arrêter, bien plus tôt que prévu. Ses rêves s’envolaient un peu plus à chaque parole de médecin, elle aurait voulu les rattraper quand ils tournoyaient un à un pour sortir indéfiniment de son esprit.
Quelques semaines plus tard, elle retourna à la fac, une béquille à la main, pour soutenir ses membres qui tour à tour perdraient de leur fonction. Elle ne savait ni en combien de temps, ni lesquels auraient leur sort en premier, mais elle savait qu’elle était condamnée. D’abord condamnée à la prison selon elle, celle de son corps qui l’empêchait à présent d’exercer la passion qui l’anime depuis toujours.
C’est en passant devant le gymnase, endormi ce matin-là, qu’elle versa ses premières larmes. Josh se tenait à l’intérieur, assis sur la poutre, dans le noir complet. Il n’était pas prêt à affronter la tristesse d’Anna, pas aujourd’hui , pas dans ce gymnase où il la voyait encore tournoyer et voler. Son papillon s’était briser les ailes devant lui, et un sentiment de culpabilité l’animait dès qu’il franchissait la porte de la salle. Il se demandait si en signalant plus tôt les symptômes elle aurait pu gagner quelques années précieuses de vie. Il ne pouvait se résoudre à la voir dans un fauteuil roulant, diminuée chaque jour un peu plus.
Il avait beaucoup parlé à ses parents, qui croyaient en la médecine, et qui espéraient des avancées importantes qui permettraient de ralentir la progression de la maladie. Anna n’avait pas d’espoir, sans la gym elle se voyait déjà morte dans ce monde.
Dès son retour au campus, elle avait vidé la moitié de sa chambre dans des cartons, les trophées de gym, les médailles diverses, les posters de pays idylliques qu’elle rêvait de visiter. Ses parents les donnèrent à Josh.
– Anna a vidé tout çà de sa chambre d’internat. Peux tu les mettre dans un endroit où elle pourrait les retrouver en cas de changement d’avis ?
– Mais, elle veut les enlever, je pense que…
Sa mère sanglotant, lui coupa la parole :
– Anna n’a que toi ici, elle passait ses journées à s’entrainer et à étudier, tu es son seul ami. S’il te plait.
– Ok, ok, je vais les prendre avec moi.
Ses parents lui donnèrent une accolade et repartir de l’internat main dans la main, se soutenant mutuellement. Il sentit leur douleur et n’avait malheureusement aucun mot pour les rassurer.
Leurs paroles l’ont touché, il considérait Anna comme bien plus qu’une simple amie. Il avait trouvé en elle un regard attentionné, une écoute sincère, ils se comprenaient sans même se parler. Lui, subissait les regards méprisants des étudiants, elle, encaissait les moqueries des arrogantes gymnastes.
Josh, assis sur le bord de son lit se remémorait leur première rencontre : quand il ouvrit l’issue de secours du gymnase alors qu’elle regardait discrètement les entrainements des gymnastes. Il lui avait flanqué un coup de porte en plein visage. Et gênés tout les deux ils avaient finalement rit de bon cœur. Il souriait, nostalgique, en posant le carton d’Anna.
Ses yeux se posèrent sur un petit bocal en verre avec une inscription : « Boite à Rêves ». Des petits papiers enroulés multicolores se trouvaient bien tassés à l’intérieur. Le bocal tournoyait entre ses doigts, il voyait ses petits papiers comme des petits trésors : les étoiles qu’Anna n’avait plus dans ses yeux.
Elle allait les retrouver, et lui il retrouvait Anna. Celle qu’il avait connu avec des étincelles dans les yeux, un sourire sincère, celle qui savait rire spontanément et voir la beauté des cœurs.
Il attrapa un sac à dos, le remplit brièvement d’affaires et sortit d’une vieille boite en fer, les clés d’un van. Il courut en direction de l’internat d’Anna, il avait trouvé la force au fond de lui, au lieu de regarder la vie s’enfuir ils allaient lui courir après.
Quand il m’a jeté les clés du van, je m’imaginais faire demi-tour au premier kilomètre. Mais un à un il a déplié chaque rêve en papier. Et grâce à lui, chaque jour, j’ai vécu une nouvelle vie.