Dans l’avion, les turbulences sortirent Laurie de son sommeil. Malgré elle, la jeune fille de dix-sept ans ne put s’empêcher de penser à ses parents. Ceux-ci, en dépit de ses implorations, n’avaient pu l’emmener en Ecosse. Ce voyage allait leur permettre de renouer, de repartir sur de bonnes bases. Les Christen n’avaient eu d’autre solution que de demander à la grande tante, vivant en Irlande, de s’occuper d’elle.
Son père essayait de la rassurer, malgré son côté bourru, sa tante avait un coeur d’or. Laurie l’avait très peu vue, elle appréhendait cette rencontre. C’était l’occasion de faire connaissance et de comprendre la séparation brutale avec sa famille.
L’avion avait atterri à Aldergrove, à trente-huit kilomètres du château. Personne ne l’attendait. Elle allait devoir se débrouiller pour arriver à destination. Valise en main, elle se mit à marcher dans l’espoir de trouver un taxi. Au bout de quelques mètres, une camionnette s’arrêta.
– Bonjour mademoiselle, je peux vous aider ?
Un vieux monsieur lui souriait, Il avait une moustache bien typique style impériale
– Bonjour, je dois me rendre à Ballygally.
Il lui proposa de la déposer au prochain village.
Le paysage défilait tel un musée d’œuvres d’art. Ces falaises, ces espaces verts jonchés de ruines spectaculaires ensorcelaient et nous emmenaient dans ces légendes si mystérieuses qu’était l’Irlande.
– Alors, ma petite demoiselle, vous venez d’où ?
– Je viens de Pesmes, un petit village dans l’est de la France.
– Moi c’est Therance mais tout le monde m’appelle Thery.
– Enchantée Monsieur Thery, moi c’est Laurie.
– Alors Laurie, que viens-tu faire ici ?
– Je viens en vacances chez ma grand-tante, elle habite au château, je pensais qu’elle serait venue….
Laurie s’interrompit, son nouvel ami avait lâché la pédale d’accélérateur et la regardait incrédule.
– Vous allez vivre au château de Ballygally ?
– Oui.
Laurie le sentait contrarié. Le reste du voyage se passa sans un mot, et Thery la laissa à l’entrée de la ville.
– Au revoir Thery, encore merci.
– Au revoir Laurie, et surtout faites attention à vous.
Elle ne comprit pas le sens de sa phrase et continua à parcourir les quelques kilomètres qui la séparaient de sa nouvelle demeure.
Le château était majestueux et datait du XVIIe siècle. Les fenêtres irrégulières paraissaient suivre une mélodie de lumières. La porte immense était encastrée dans la pierre où avait été minutieusement taillées les initiales JS et IB.
Laurie parvint à atteindre le marteau en forme de main et donna deux coups sur la masse de bois. Elle entendit des bruits de pas puis une lueur s’infiltra sous la porte. Un homme, grand et hostile, se tenait devant elle.
– Bonjour monsieur …. Je suis Laurie
– Je vais prévenir la comtesse de votre arrivée!
Laurie était interloquée, sa grand-tante était comtesse ! Un détail que son père avait omis de lui dire ! Elle observa les lieux, un grand escalier servait les étages, les portes en bois aux motifs sculptés de têtes d’animaux cruels et de symboles celtiques racontaient chacune une histoire.
Des pas irréguliers s’approchèrent, tante Carole, munie d’une canne, était vêtue d’une longue robe noire et un châle recouvrait ses frêles épaules. Son chignon gris et stricte laissait apparaitre son visage autoritaire.
– Tu ressembles à ton père, pourtant je ne l’ai pas vu souvent mais je reconnais bien son regard.
– Bonjour, ma tante, père ne vous a pas prévenu de ma venue ?
– Je pensais que c’était demain, Jean-Baptiste te conduira dans ta chambre, tu dois avoir envie de te changer, et tache d’être prête pour le diner à dix-huit heures !
Le majordome la conduisit à l’étage. Différents portraits habillaient les murs, principalement des hommes, dont un qui attira son attention, elle s’approcha : James Shaw, et un portrait de femme : Isabelle Brisbane. Laurie lui ressemblait beaucoup, les mêmes cheveux roux, le teint laiteux et des yeux verts.
Elle découvrit sa chambre, tapisserie aux murs, un lit à baldaquin habillé de voilage rouge et des draps d’un blanc soyeux. Les fenêtres offraient une vue sur la mer et sur la route côtière de la fameuse chaussée des Géants. La jeune fille se dépêcha pour être à l’heure pour le diner. Quand elle descendit, sa tante était déjà installée.
– Je t’avais dit de ne pas être en retard !
– Mais je ne suis ….
– Ne me contredis pas, je ne te le permets pas ! gronda sa tante.
Laurie se tut et elles finirent le repas en silence.
Le soir venu, dans sa chambre, elle sentait qu’on l’observait. Des bruits indéfinis perçaient le silence de la nuit. Cela l’effrayait mais elle finit par s’endormir. La nuit fut longue et agitée. Ses rêves étaient confus : James Shaw était dans sa chambre, s’approchait de son lit, semblant plutôt flotter que marcher. Il approcha ses lèvres des siennes, des lèvres frémissantes d’un désir charnel qu‘elle ne connaissait pas jusqu’alors. Il écarta les draps et commença à la caresser, ses mains sensuelles étaient douces, froides mais Laurie se sentait envahie de chaleur.
Elle se réveilla, en nage. Avait-elle vraiment rêver ?
Les rayons de soleil s’infiltraient à travers les rideaux. Elle se vêtit et descendit aussitôt. Jean-Baptiste était là, seul.
– Tout va bien, mademoiselle Laurie?
Comme si Jean-Baptiste lisait dans ses pensées.
Il savait que personne ne risquait de s’approcher ou de rentrer dans le château. Carole avait vécu l’enfer, le comte avait encore une emprise sur elle.
Il aurait enfermé son épouse Isabelle dans la plus haute tour du château jusqu’à ce qu’elle lui donne un héritier. Il sélectionnait les bébés en les jetant par la fenêtre, Isabelle ne pouvait plus supporter cela, elle se défenestra après lui avoir donner un fils, le papa de Carole. Leurs fantômes hantent encore ces lieux, ils se promènent la nuit dans les couloirs.
Laurie se sentait affaiblie et anéantie.
– Vous devriez partir d’ici avant qu’il ne vous arrive quelque chose. Beaucoup de jeunes filles disparaissent mystérieusement. Votre tante sait ce qu’il se passe et elle ne pourra pas vous protéger sauf si …
Il coupa net à la conversation, entendant les pas irréguliers s’approcher.
Laurie ne savait plus quoi faire, il fallait qu’elle lui parle.
– Ne crois pas les propos de Jean-Baptiste, hurla-t-elle
– Mais ma tante, j’ai vu le comte l’autre nuit dans ma …
– Non ? Ce n’est pas possible ! Tais-toi !
Laurie les larmes aux yeux quitta la pièce. La nuit suivante, elle avait du mal à trouver le sommeil, elle erra dans les longs couloirs puis s’arrêta à la chambre de sa tante.
– Je t’en supplie grand-père, laisse Laurie tranquille !
Laurie s’empressa de regarder par la fente, Carole paraissait seule, à genoux. Quand elle la vit, Carole se précipita et se défenestra.
Après ses funérailles, le château fut mis en vente. Laurie devait repartir en France reprendre ces études, les villageois avaient retrouvé une vie paisible.
Dans l’avion, les turbulences sortirent Laurie de son sommeil. L’atterrissage était imminent. Dans le haut-parleur, la voix du commandant de bord :
– Ici le commandant James Shaw qui vous parle …
La porte du cockpit s’ouvrit, Jean-Baptiste, le regard sombre, dévisageait Laurie, tétanisée.