Le lieutenant stagiaire Quentin Pinel est assez excité ; il participe à sa première enquête criminelle. Le corps d’une femme a été retrouvé dans une petite église au milieu des bois près de la Leyre. La Leyre est un cours d’eau qui prend sa source dans Les Landes et se jette dans le bassin d’Arcachon. Le fleuve est particulièrement apprécié des amateurs de canoë-kayak. En été, cette activité fait partie des incontournables de la région. Ce sont des canoéistes qui ont découvert le corps.
Il attend donc avec son collègue, en amont de Lugos, sur le bord de l’eau, prêt à embarquer sur son canoë pour rejoindre le lieu du crime. Car cette église n’est accessible qu’en canoë. Il va bien falloir qu’il se jette à l’eau, sans pour autant y tomber ! Il n’est, en vérité, pas très rassuré ; il vient d’arriver sur la région, n’a pas encore eu le temps de découvrir les lieux, et n’est jamais monté sur un canoë. Il ne sait donc pas ce qui l’attend ! Ce matin, en arrivant au commissariat, le capitaine lui a expliqué la situation :
– Bon Quentin, on a déjà une équipe sur place mais je veux que Richard et toi y allez en renfort. J’ai l’impression que c’est une sale histoire et Richard est le meilleur de mes hommes. Tu l’accompagnes là-bas et tu apprends ! Vous allez devoir y aller en canoë.
– Mais chef, je n’ai jamais…
– Tss tss ! Pas de problème, ça n’a rien de compliqué et Richard a l’habitude, il va t’expliquer comment pagayer ! Suis ses instructions et tout ira bien.
– Oui, chef !
Quentin suit donc Richard dans l’embarcation après que ce dernier lui a donné les consignes. Il lui a bien précisé que cela n’a rien de difficile, si ce n’est que sur cette partie-là du fleuve, on trouve beaucoup de branches, de troncs d’arbres qui vont véritablement compliquer leur tâche.
– Tu vas voir, c’est assez technique, et si on n’anticipe pas, on peut se faire mal avec les branchages, ou tomber à l’eau. Alors surtout, écoute bien mes instructions !
À peine sont-ils sur le canoé que les difficultés commencent. Devant eux, au milieu du cours d’eau un enchevêtrement de branches leur fait face. Le seul endroit qui semble être franchissable se situe au côté opposé du leur et bien que le courant ne soit pas très fort, Quentin a le sentiment qu’ils sont bien mal engagés.
– Euh ! Richard, je fais quoi là ?
– Tant que je ne te dis rien, tu pagayes !
– Ouais, mais là en face bientôt, il y a des branches…
– T’inquiètes, je les ai vues, je dirige le canoë et toi tu rames !
C’est alors qu’il voit l’embarcation changer de cap pour se diriger vers le passage laissé libre par les branches. Il pagaye aussi bien qu’il peut et contre toute attente le canoë passe sans encombre.
– Comme une lettre à la poste ! Lui crie Richard dans un rire puissant.
– Ok, je m’incline, bravo ! Sans toi, j’aurais fini coincé au milieu du fleuve.
– C’est juste un coup à prendre. À force, tu vas y arriver.
– Ouais, peut-être… On sait comment elle est morte la victime de l’église ?
– D’après les premières constatations du légiste, elle serait morte noyée ; il doit confirmer cela avec l’autopsie.
– Noyée ?! Alors pourquoi l’a-t-on retrouvé dans l’église ?
– Ben, c’est précisément pour ça qu’on y va ! On va chercher des indices qui nous permettront d’en savoir plus.
– C’est quand même curieux. Il n’y a pas de trace de violence ?
– J’en sais pas plus ! Concentre-toi sur le canoë, tu veux, sinon on va finir par chavirer !
– Désolé !
Ils poursuivent leur chemin sur environ deux kilomètres semé d’embûches évitant parfois tout juste les branches. Quentin commence à en avoir assez. Le canoë, ce n’est décidément pas son truc, il préfère la terre ferme. Pour ne pas provoquer la colère de Richard, il se concentre afin d’anticiper au mieux. C’est alors qu’ils arrivent à un endroit où le courant semble un peu plus fort et où des branches sortent de l’eau en faisant penser à des griffes qui veulent les prendre au piège. Une de chaque côté du seul passage accessible, se faisant face. En se rapprochant, Quentin a une impression bizarre, les branches montent et descendent dans l’eau. Ses peurs de petit garçon refont surface :
– Tu as vu ça Richard, les branches là-bas, on dirait des bras aux mains crochues qui sortent de l’eau !
– Ah ah ah ! Richard s’esclaffe. Eh ben, tu ne manques pas d’imagination toi, elle est bien bonne celle-là ! Tu crois qu’il y a un monstre caché sous l’eau ? Bouh ! Attention !…
– …
– Allez, je plaisante. J’ai l’habitude de venir ici. Il n’y a aucun risque. On approche, rame aussi vite que tu peux maintenant…
Et Quentin pressé de sortir de ce qui lui parait être un enfer, rame de toutes ses forces pour éviter de se retrouver coincé entre ces deux bras inquiétants. Le canoë avance à toute allure. Ça y est, ils sont passés et le canoë continue sa course dans l’élan de l’effort fourni. Quentin est rassuré.
– Désolé, Richard, c’était ridicule, je ne sais pas ce qui m’a pris !
– …
– Richard ?
– …
Quentin se retourne immédiatement, se demandant pourquoi Richard ne lui répond pas.
C’est alors qu’il constate que Richard n’est plus à bord du canoë. Quentin à la fois surpris et affolé, se met à l’appeler.
– Richard ? Richard ? Tu m’entends ? Si c’est une blague, ça n’est vraiment pas drôle ! T’es où ? Richard, répond !!
N’obtenant pas de réponse, il se reprend et décide d’accoster dès que la rive le lui permet. Tant bien que mal, il se dirige vers le bord s’accroche aux branches et tente avec sa pagaie de stabiliser le canoë. Il réussit dans un élan maladroit à sauter sur la rive et à rattraper in extrémis l’embarcation avant qu’elle ne suive le courant. Après avoir tiré le canoë sur un banc de sable. Il revient en courant vers l’endroit où Richard a disparu. Il continue de l’appeler. Sans succès ! Complètement paniqué, il réalise qu’il a laissé son téléphone portable dans le bidon sur le canoë. Il revient sur ses pas, attrape son téléphone et décide d’appeler son chef.
– Allô !
– Allô, Chef, c’est Quentin ? Richard a disparu !
– Quoi ? Comment ça, Richard a disparu, qu’est-ce que c’est encore que cette histoire ?
Et Quentin raconte en détail.
Le Capitaine est abasourdi. Il n’en revient pas de ce que lui raconte son stagiaire. Même si Richard est tombé à l’eau, il n’a pas pu se noyer, c’est un nageur hors pair. Il est forcément quelque part. Peut-être qu’il est blessé !
– Bon, je t’envoie quelqu’un, mais le temps qu’ils arrivent, il faut que tu retournes sur le lieu où Richard a disparu, il ne peut pas être bien loin. Tu as regardé dans l’eau ? Il est peut-être resté coincé dans une branche, on ne sait pas, retournes-y, et tient moi au courant !
– Mais Chef…
– Y’a pas de mais, tu y vas immédiatement et tu le trouves ! Hurle le capitaine au téléphone.
– Oui Chef !
Quentin, dépité, la peur lui tordant le ventre rebrousse chemin en longeant la rive pour tenter de retrouver Richard. Rien !
Il arrive maintenant au niveau des deux branches qui l’impressionnaient tant tout à l’heure. Il s’approche. Il voit qu’une d’entre elles est en fait une énorme racine accrochée à la rive et qui court en direction du centre du fleuve à la surface de l’eau. En se maintenant à une branche en hauteur, il pose un pied sur la branche mouillée pour tenter de voir l’eau de plus près. C’est alors qu’il sent une force l’attirer dans l’eau, il tente de résister, bascule et se retrouve immergé. Pris de panique, il ouvre les yeux sous l’eau et découvre avec horreur le corps de Richard accroché à une des griffes de l’autre branche ; mort ! Noyé ! Lui aussi !
Quentin se débat et tente de remonter à la surface. Il sent alors qu’on enserre son pied, il est piégé et sombre dans l’eau verte. Il ne sait pas qui, il ne sait pas pourquoi, mais il sait sans doute comment la femme s’est noyée. Quant à savoir comment elle s’est retrouvée dans l’église, il laisse à ses collègues le soin d’élucider le mystère !