Wei a jeté les écrevisses dans la poêle brûlante, le long crépitement plaintif des crustacés sur la fonte a sorti Porgy de sa torpeur, il a levé un sourcil pointilleux.

  • T’as une drôle de tête aujourd’hui Porgy, c’est la forêt, c’est ça, les champignons sont sortis ?

Wei a passé sa langue sur ses gencives douloureuses. Il a retiré la poêle du feux et ouvert la porte. Porgy et une épaisse fumée âcre se sont immédiatement échappés. Dehors, les cochons grognaient.

    Faut que je retourne en forêt, se dit Wei, les porcs n’ont rien à manger.

Des nuages sombres jouaient avec l’immense lac, la forêt bruissait. Porgy était nerveux. C’était un petit cochon que Wei avait sauvé en le retirant de sa mère qui le rejetait, il avait une immense tache au-dessus de l’œil droit. Il l’emmenait en forêt et Porgy repérait les champignons et cadavres d’animaux qui servaient à nourrir les porcs. Wei vivait ici en autarcie depuis 10 ans.

Il a décroché son fusil, un engin court mais terriblement efficace, et s’est dirigé vers la clôture, Porgy dans ses pieds. Un grand frisson de vent fit frémir la surface de l’eau. Sur le long chemin de terre, qui coupait péniblement la forêt en deux, un véhicule approchait.

  • Tiens, de la visite, ça fait bien 10 ans.

Porgy reniflait plus qu’à son habitude. Wei prit ça pour une réponse.

A vingt ans, Wei s’était engagé chez les paramilitaires, dans cette grande famille, on avait des droits, on obtenait la nationalité française, et les devoirs consistaient à servir son pays. Les parents de Wei étaient Asiatiques, sa femme aussi. Pendant 10 ans, il avait servi la France, il maîtrisait parfaitement les techniques de combats militaires et avait accompli, avec succès, un bon paquet de missions risquées. A trente ans, il s’était trouvé un boulot en banlieue parisienne et s’était installé avec Lee. Pour ça, il avait emprunté un paquet d’argent aux parents de sa femme. C’est à cette époque qu’il a fait la connaissance de Sergueï et Yvan. Spécialisés dans les casses de banques et de bijouteries, le Russe et l’Albanais préparaient un mauvais coup.

  • Salut Wei, ça va toujours ton boulot à la mairie ?
  • Pourquoi tu t’intéresses à mon travail ?

Wei était méfiant par nature, ses années d’armée lui avaient appris à manœuvrer discrètement.

  • On connait tes qualités et ta discrétion, on a en vue une banque, 30 lingots d’or à récupérer, 10 chacun.

Yvan n’arrêtait pas de renifler, Wei se mit à l’imiter, le temps de réfléchir. 10 lingots, ça faisait 500 000 euros, il avait largement de quoi rembourser les parents de Lee, ils avaient un restaurant asiatique dans le centre qui tournait pas mal mais, dans le milieu, pour garder son honneur, il ne fallait pas trop tarder pour rembourser ses dettes. Et puis avec Lee, la vie serait meilleure. 

  • Moi et Yvan, on s’occupera du coffre de la banque, toi tu surveilles, tu portes les sacs et tu conduits !
  • C’est pas le plus risqué, rajouta l’Albanais.
  • On verra quand on y sera, coupa Wei.

Wei était sorti de la banque, il avait mis les 3 sacs dans le 4×4, Sergueï et Yvan tardaient. L’affaire avait pris une sale tournure, le directeur avait alerté la police dès le départ (le standard des flics était directement relié à l’établissement) et Sergueï l’avait froidement abattu, Yvan de son côté avait pris une employée en otage, elle avait essayé de s’enfuir, l’Albanais n’avait pas fait dans le détail, il lui avait tiré dans le dos. Quand Sergueï a liquidé un des policiers qui tentait de pénétrer dans la banque, Wei a laissé le volant à Lee, elle attendait à proximité (c’était son plan, il avait connaissance de la liaison entre l’établissement et la police), et il s’est rendu parce qu’il savait qu’on le retrouverait, où qu’il soit. Sergueï a pris 25 ans de prison, Yvan 20 et Wei 10. Lee avait disparue peu de temps après, des Albanais étaient venus la trouver. Mis au courant, Wei a rongé son frein dix longues années en prison, c’est là qu’il a perdu ses dents…

A sa sortie, il s’est rendu chez une vieille tante de Lee, une pauvre femme centenaire, sourde et muette, il a récupéré les lingots dans la cave, ensuite, il est parti s’installer dans une cabane de chasseurs nichée près d’une épaisse forêt, au bord d’un lac profond. Seule Lee connaissait l’endroit, ils avaient prévu de s’y retrouver à sa sortie de prison. Le coin était parfaitement isolé, personne ne s’aventurait là-bas. Désormais seul, Wei comptait y finir sa vie…

Porgy avait cessé de renifler. Yvan est sorti de la voiture, armé. 

  • Salut Wei, ça fait un bail, tu sais pourquoi je suis là ?

  Lee avait parlé. Est-ce qu’elle avait été torturée. Était-elle toujours en vie, se demanda Wei.

  • Où est Lee, Yvan ?
  • On l’a mis au boulot, elle a pas tenu bien longtemps !

Wei a passé sa langue sur ses gencives douloureuses, il a tiré, Yvan s’est effondré. Il a posé son fusil, et le manteau qui le cachait, puis il a traîné le corps à l’écart. Il a déplacé une grande barge, qui lui servait à ramener du bois de l’autre côté du lac, l’a lestée de plusieurs bidons vides supplémentaires et a installé la voiture dessus. Une fois au centre du lac, il a enlevé les bidons à l’avant de la barge et a poussé doucement le véhicule, des eaux noires et profondes l’ont rapidement englouti. Au retour, il a méticuleusement scié la tête d’Yvan avec la scie à bois et a donné le corps aux cochons, affamés, ils peuvent dévorer entièrement un cadavre humain, sauf la tête, c’est bien connu, que Wei a déposée dans le ruisseau qui se jette dans le lac, c’est un excellent piège pour les écrevisses qui raffolent de ça. Ensuite, Wei jettera le crâne vidé de sa chair au fond du lac.…

Cinq ans plus tard, Porgy suivait toujours Wei en forêt, mais comme il avait de l’arthrose et que sa vue baissait, Wei prenait plus de temps pour cueillir des champignons ou chasser des bêtes sauvages avec lui. Un matin d’avril, tandis qu’un soleil frais et printanier s’élevait au-dessus du lac, et que Wei s’offrait une fricassée d’écrevisses, Porgy a levé un sourcil pointilleux, il était nerveux. Wei est sorti, le fusil serré contre lui, Porgy dans ses pieds. Il a passé sa langue sur ses gencives douloureuses et s’est approché de la clôture. Sur le long chemin, en partie gagné par la forêt, l’ombre d’un 4×4 sombre se découpait dans les premières lueurs.

  • Tiens, on a de la visite Porgy, ça fait bien 5 ans.

Porgy a reniflé plusieurs fois. La portière du 4×4 s’est ouverte, Sergueï, armé, s’est glissé dehors.

  • Salut Wei, ça fait un bail, tu sais pourquoi je viens te voir !

Wei saisit immédiatement que Lee était toujours en vie puisque Sergueï était là. Yvan l’avait baladé.

  • Où est Lee, Sergueï ?

La vitre arrière du 4×4 descendit lentement, le visage de Lee apparut, une arme sur la tempe.

  • Tu me files les lingots et ceux d’Yvan, tu récupères ta bridée et tu me revois plus.

Sous la menace des Albanais, Lee avait parlé de la cabane mais elle avait prétendu que les lingots, eux, étaient en possession d’un ami de Wei, et cachés au fond d’une citadelle militaire imprenable. 

Le visage de Lee était décomposé, les gencives de Wei étaient brûlantes, Porgy reniflait de trop. La première balle a atteint en plein cœur l’homme qui tenait Lee. La balle de Sergueï est venue se ficher dans l’œil de Porgy, en plein sur sa tache. Au troisième coup de feu, Sergueï s’est effondré. Wei a posé son fusil et le manteau qui le cachait. Les cochons grognaient. Il y aura encore beaucoup d’écrevisses cette semaine.

Une Nouvelle de Nicolas GENTHIAL – Promotion Ecrire un Livre

La publication a un commentaire

  1. Serge

    Au top Nico, Dans la lignée du phif

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Sandra

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