L’absence d’inspiration pour un auteur est la peur ultime. Ne plus savoir quoi dire. S’exprimer, c’est l’essence même de l’écrivain. Rester devant une feuille blanche est un drame en soi.

C’est ce qu’était en train de vivre Alexandre Caron. Le jeune homme, nouveau romancier dans l’univers du polar, butait sur le rectangle blanc. Le vide intégral. Rien. Pas même l’ombre d’une idée porteuse.

Son premier opus avait été un succès littéraire. Racontant l’histoire banale d’un meurtrier traqué par un enquêteur surdoué. Usant de figures de style, d’humour noir et de provocation, il était devenu best-seller après de 6 mois de parution.

Fort de ce succès, il signa un contrat d’exclusivité avec sa maison d’édition lui permettant de vivre sereinement les prochaines années. Seulement, pour s’assurer de confortables revenus, il fallait écrire un nouveau roman. La date buttoir était pour la semaine suivante et toujours rien.

Installé à son bureau, dans le salon de son petit appartement, il se tenait la tête dans les mains. Incapable de commencer, il se leva et s’effondra dans son canapé. Il alluma sa console et commença à jouer à un jeu sanglant.

L’objectif de création disparaissait lentement de son esprit quand son téléphone sonna. Sur l’écran de son smartphone, Lionel. « Quelle galère » pensa-t-il. Son contact chez son éditeur essayait de le joindre pour la 7e fois de la journée. Lassé, il décrocha.

– Salut Alex, qu’est-ce qu’il se passe ? J’arrête pas de t’appeler. Tu me fais la tête ? Demanda le gros nounours qui lui servait d’interlocuteur.
– J’avais des problèmes de batterie. Mentit Alex.
– Tu en es où dans ton prochain opus ?
– J’y travaille, mais c’est pas simple…
– Un talent brut comme toi ? C’est trop fastoche!

Après avoir échangé quelques amabilités, ils raccrochèrent. Le jeune homme était perdu. Il sortit prendre l’air et erra dans les rues désertes, sous la pluie glacée d’une fin d’automne grise. Même les façades des maisons paraissaient ternes.

Après quelques heures dehors, il rentra, la boule au ventre, et se coucha tout habiller sans manger.

L’obscurité tapissait la chambre. Tout semblait glauque. Une odeur de sang lui vint au nez. Son cœur s’accéléra. La transpiration perlait sur son front. Il se sentit en danger.

– « Voleur… » fit une voix.

Un visage blafard se pencha sur lui.

Alexandre se réveilla. Trempé de sueur. Ce visage restait ancré dans son esprit. Il était d’autant plus ancré qu’il était celui de son meilleur ami. Depuis un an, il ne dormait plus. Chaque nuit, le fantôme de Nicolas Dumont venait le hanter dans ses rêves.

Les larmes lui montèrent aux yeux. Inconsolable. Lui qui paraissait si fort, était fragile, faillible. Il était là le jour du drame. Il s’en souvenait parfaitement. Chaque détail, chaque odeur, chaque instant. En un instant, l’inspiration lui vint. Raconter l’histoire de son ami. Il se leva, se mit à écrire comme il l’a vécu. Sans fioriture. Son livre allait faire couler beaucoup d’encre.

Nicolas était un écrivain passionné et surtout amateur. Le jeune homme adorait écrire, mais gardait ses œuvres pour lui. Il voulait sauter le pas, mais sa timidité l’empêchait de se lancer. Il prit des cours pour perfectionner sa technique d’écrivain. C’est là que les deux hommes se rencontrèrent.

Tous deux adoraient le bruit du stylo plume sur les fibres blanches du papier. L’odeur de l’encre, le contact de la main sur les feuilles leur procuraient autant de plaisir que l’écriture elle-même. Ils détestaient l’ordinateur. Le son des touches plastique les exaspérait.

Ils partageaient d’autres passions communes et firent les quatre cents coups ensemble.

Un soir bien arrosé, Nicolas voulu qu’ils repassent chez lui. Alex monta avec son ami. L’appartement était bien décoré, style industriel. L’auteur amateur lui montra son futur livre. Il était à deux doigts de le publier. Un pavé de 700 pages. Alex était impressionné. Il lut les premiers feuillets. Le style était admirable. Un polar noir, un humour ciselé. Tout pour réussir. Une certaine frustration naquit chez lui. Il était incapable de fournir un tel travail, une telle profusion de détails. Un soupçon de jalousie l’envahit.

Nicolas leur versa une bière. L’amertume du breuvage ne l’apaisa pas.

Et puis au fil des conversations, l’alcool embrumant les pensées, Nicolas se fit insistant et posa une main sur la cuisse d’Alexandre. Celui-ci, pris soudain d’une colère noire, se leva d’un bond. Les verres avalés lui faisaient manquer de discernement.

– Pardon, je ne voulais pas… S’excusa Nicolas.
– T’approches pas ! Je fais pas partie de ça moi… J’ai horreur des gars comme toi… Sale pédé vas !
– Prends le pas mal, je…
– T’as gueule ! Tu me dégoûte !!!

Nicolas se leva, pour essayer de calmer son ami, mais ce dernier éructa. Il n’en pouvait plus de cet ami trop parfait. Nicolas était ce qu’Alex voulait être. Doué, intelligent. Excédé par le talent du jeune homme, il le frappa au visage. Le jeune auteur tomba, la tête contre la table basse. Un craquement sordide fut émis par les vertèbres du malheureux. Il gisait inconscient, les yeux ouverts. Pris de panique Alexandre voulu le relever. Impossible. Le pouls de la victime était faible. Une mare de sang inonda le tapis sous la victime.

Que faire ? Il prit peur. Impossible de réagir.

Les secondes s’égrainaient, les décilitres d’hémoglobine s’écoulaient.

Réfléchir, il fallait réfléchir…

Un accident, il fallait faire croire à un accident. Personne n’aurait cru à un meurtre. Il essaya de se souvenir des livres policiers qu’il lisait. Les meurtriers oubliaient toujours un détail… Les empreintes… Il faut nettoyer. Ou brûler. Bonne idée la combustion, mais les autres personnes dans les étages vont donner l’alerte.

Il est tombé bêtement et c’est tout. Les deux verres sur la table basse compliquaient encore la donne. Un hématome apparaissait sur la pommette. Il était piégé.

Partir ? Oui, mais son signal GSM le localisait ici… Et s’il laisse le corps là, il était perdu. Nicolas n’était pas mort. Il avait des spasmes, des râles également. Il clignait un peu des yeux. Alex ne pouvait pas le laisser mourir seul. L’amener à l’hôpital ? Après avoir entendu craquer les vertèbres de son ami, il le savait perdu.

Il devait se décider et rapidement.

Trouvé ! Il échafaudait son plan. Il lui fallait rentrer chez lui, y laisser son téléphone et revenir ici. Profiter de la nuit pour descendre son ami dans sa propre voiture avec son portable et provoquer un accident, violent.  Et c’est ce qu’il fit. À la lettre.

Il pulvérisa la voiture contre un arbre. Celle-ci prit feu instantanément. Dans la fournaise, il crut apercevoir le visage immobile du jeune homme. Il se dépêcha de rentrer pour nettoyer les verres, se débarrasser du tapis. Au moment de partir, il vit le script et le prit.
Le lendemain matin suivant le drame, il fut interrogé par les gendarmes. La thèse de l’accident fut retenue.

Depuis, il est hanté par les images du défunt.

Après 5 jours d’écriture non-stop, Alex apporta son livre chez son éditeur. Il était fier de l’ouvrage et épuisé. Un mal de crâne carabiné lui fracassait l’esprit. Dormir était son salut. Rentré à son domicile, il se mit au lit.

Son cœur palpitait. Son crâne semblait être sur le point d’exploser. Impossible de s’assoupir malgré la fatigue. Il était trop las.

Il se leva, sorti sur le balcon. Le vent était froid. Il reçut de l’eau froide qui venait de la gouttière au-dessus de lui. Epuisé, mais curieux, il monta sur une chaise de terrasse mouillée. Il fallait vraiment la nettoyer. Une rafale de vent le déstabilisa. Surpris, il mit un pied à terre en se disant de regarder le lendemain. Brièvement, il eut une vision de son ami. Un flash. Ce qui le perturba et le fit reculer, instinctivement. L’autre pied, toujours sur la chaise se coinça entre l’assise et le dossier. Alex monta sur la rambarde pour se dégager et perdu l’équilibre, passant par-dessus bord.

Il essaya de se rattraper au garde-corps. Trop tard.

Dans la chute, Nicolas en plein brasier lui revint en mémoire. Avant de toucher le sol, tête la première, son mal de crâne disparu. Il sentit son cœur s’arrêter. Il eut le temps de sentir un choc dans un craquement horrible. Puis le noir et le silence.

Son corps fut découvert par des voisins au petit matin. Son ouvrage sortit et fut applaudi par la critique.

Il n’avait probablement aucun talent particulier pour l’écriture. Que serait-il devenu s’il n’avait pas volé et tué l’œuvre de son ami ?

Une nouvelle d’Etienne WRONA – Promotion Écrire un livre

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Sandra

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