Étendu sous sa couette. Steve guettait les interstices entre les lames des volets. Seule la lumière de la lune s’y glissait. Tout d’un coup des faisceaux lumineux les traversèrent. Il vit des zébrures jaunes courir sur le plafond, sauter sur le mur. Elles moururent sur le visage d’un jeune garçon au regard froid qui se tenait au coin de la pièce. Une portière de voiture claqua. Le portail en bois grinça. Le PVC de la porte d’entrée couina. Steve devina un « bonsoir » étouffé. Il voulut faire un câlin à son papa. Il était déjà censé dormir, alors…Rassuré, il put rejoindre le pays des songes. Soudain la voix de sa mère se mêla à celle de son père. Des mots assourdis s’échappèrent du salon, puis des paroles fortes montèrent les escaliers. Des cris s’écrasèrent sur la porte. L’enfant à la mine triste vit les larmes montées aux yeux de son alter-ego. Sa bouche se déforma. Des mots sans voix s’en échappèrent. « Pas encore, non !». Le flot de ses pleurs était erratique. Il entendit le mot « Maitresse ». Il s’endormit, croyant être le sujet de discorde.

Joue sur l’oreiller, il peina à ouvrir ses yeux collés, trop humides de la vieille. Face à lui, Steven alluma la lampe. « Debout ! Tu vois c’est inutile ! Bien travailler à l’école, gagner des bons points, faire tes devoirs ! Pfff… Ils se disputent encore ! Il faut passer à autre chose. Ça leur apprendra ! Tu vas trainer avec les Rigoleau ! Me fiche que tu aies peur. Tu vas leur ressembler, point !». Le garçon sensible frissonna en entendant ce nom de famille. L’idée de suivre les deux terreurs lui fit davantage peur que de voir ses parents se déchirer. Loin d’être sage comme une image, devenir comme eux le rebuta. Il se sentait délaissé, peur d’être abandonné. Hypersensible, rongé par le chagrin flottant dans la maison. Il espérait encore. Il voulait rendre son père et sa mère fier de lui. Les aimer très fort. Ainsi, tout redeviendrait comme avant.
Les deux complices entamèrent une discussion acharnée. Ils trouvèrent un compromis. Faire l’école buissonnière tout en profitant de maman. Le plus sage joua le malade imaginaire. Frange relevée sur le crâne, il plaça sa tête au-dessus de l’abat-jour. Sa mère entra dans la chambre. « Je suis malade maman ». Elle posa sa main sur son front. Le subterfuge fonctionna. Elle quitta la pièce, regardant le complice de son fils sans le voir et revint thermomètre en main. « Prends ta température, je termine de me maquiller ». Son compagnon pressa le comédien de le coller sur l’ampoule brulante. Au clic de l’interrupteur de la salle de bain. Il se hâta de le placer sous la couette. « 39. Maman va te garder avec elle ». Elle lui fit une douce caresse pour le réconforter. Le garçon invisible éprouva une légère pointe de jalousie. Le malade eut la permission de descendre dans le salon. Il eut même le droit de faire des beaux dessins à sa maman. Son copain convaincu qu’il fallait passer à l’acte s’intéressa mollement à ses œuvres. Mais quand ils jouèrent à la bataille, il se dit que le fils à maman avait peut-être raison. Plus tard Jeanne prie le téléphone. Stève écouta la fin de la conversation. « Moi aussi je t’aime ». Satisfait, il envoya un sourire enthousiaste à Steven. Il lui retourna un léger plissement de lèvre perplexe.
Le samedi, ils s’amusaient dans le jardin. Des cris étranges retentirent. Le fiston traversa le salon en courant vers la baie vitrée opposée. Dans le patio, les parents s’agrippaient violement. Les cris de la femme semblèrent mêlés de rires nerveux. Jeu ou bagarre ? La réponse fut sans ambages. L’époux tira les cheveux de son épouse et l’envoya au sol. « Steve ! Va dans ta chambre ! »

Dès lors, les acolytes suivirent les plans du plus véhément. L’enfant sage se rapprocha des caïds. Le contraste était saisissant entre ces enfants de vétéran de la guerre d’Algérie, aux pieds-noirs et le petit bonhomme à la coupe au bol. Ils l’embarquèrent dans une folle campagne de vols à l’étalage. Le nouveau temple de la consommation fût leur terrain d’exaction. Bonbons, jouets…Au milieu des trois autres, le plus jeune des voleurs assumait avec un tel aplomb qu’il en impressionna le plus grand. « Tu n’es pas un bouffon toi ! » Il en tira une certaine fierté et trouva du plaisir dans ce nouveau loisir. L’instigateur ne perdait pas de vue le but de la mission. Il fallait atteindre les parents. Il poussa son poulain à prendre des risques inconsidérés. Le jeune pantin voulait jouer au tennis. Alors il dissimula une raquette dans son blouson. Sûr et fier de lui, il ne preta aucune attention au bout qui dépassait sous le menton. L’air de rien, il se dirigea vers la sortie, soutenu par son mentor. A la sortie l’agent de sécurité l’arrêta. Il n’en revint pas du culot du petit garçon.
Le soir, le petit voyou aurai préféré voir les zébrures lumineuses sur le mur. Il n’en eut pas le temps. La portière claqua plus fort que d’habitude. Son père montait déjà les marches. Dans la chambre, il ne parla pas. Sa main s’abattit sur les fesses rougies de son fils. Seuls, le claquement cinglant et les pleurs du garçon raisonnèrent. Il partit sans un mot. Steven, mécontent d’avoir vu juste lui dit « Il est rentré plus tôt… »

De la fumée grise montai derrière le transformateur EDF. Le vent s’engouffra dans les lauriers autour. Un courant d’air aux relents de tabac poussa vers la rue. Au pied des vapeurs de nicotine, on entendit des petites voix rieuses toussoter. Le jeune disciple tenait dans son bec une cigarette. « Tu ressembles à un vrai cow-boy » lui dit Steven pour l’encourager. Interdiction de fréquenter les deux frères ? Son coach l’entraîna vers Gérôme, l’autre caïd du quartier, fils d’un ancien indépendantiste Corse. Les deux nouveaux amis se quittèrent, fiers d’avoir joué aux grands ! A peine la porte franchie, sa sœur accueillit son frère avec une claque. Elle ne sentit pas l’odeur tout de suite mais avait remarqué qu’il ne restait plus qu’une cigarette sur trois dans son paquet. Pourtant le meneur avait assuré que cela ne se verrai pas…
Ce soir encore, pas d’attente dans le noir. La portière. Le portail, la porte d’entrée. Mais…Pas de voix, pas de cris, pas de maitresse. Il s’endormit.
Il trempa un boudoir dans son Nesquick. Ses parents se tenait devant lui. Son compagnon derrière eux. Ils comprenaient la tristesse que leurs disputes lui causaient. Ils ne lui en voulaient pas. Il l’aimait. Ils s’aimaient. Un sourire se dessina sur son visage innocent. Il tomba dans les bras de sa maman. Il croisa le regard souriant de son ami. Il se concentra comme pour faire un vœu et demanda. « Vous n’allez pas divorcer ? ». Les parents se regardèrent un instant. « Non bonhomme ». Il ne remarqua pas le visage de son ami s’assombrir. Il rouvrit les yeux. Il avait disparu.
Les jours d’après ce fut comme avant. Son camarade ne vint plus. Un samedi, toute la famille pique-niqua au bord du canal.
Le lendemain, dans la chambre des parents on entendit des mots forts. Puis des cris comme maitresse, pétasse, salaud…De la porte de sa chambre le benjamin les vit débouler dans le couloir. Il assista à une bagarre en règle. Des coups de griffe pour elle, des gifles pour lui. Les enfants pleurèrent à s’en percer les tympans. La femme jeta toutes ses forces sur son mari. Il faillit débouler tête la première dans l’escalier. Les combattants furent poursuivis par le garçonnet en transe. « Maman arrête ! Laisse papa !». Sur le seuil d’entrée le père résista aux assauts d’une femme meurtrie. Elle tendit le bras vers le guéridon. Attrapa le cygne en céramique par son cou. Et avec la plante verte qu’il contenait, l’éclata sur le crâne de son époux. Le petit bonhomme horrifié figea devant la tête en sang de son père. Il se rua sur sa mère ! Elle l’envoya dans les jupons de son père. Dans la voiture des fuyards, il regarda dans le pare-brise arrière. Il vit sa mère. A sec côtés, son double, l’air triste de celui qui avait raison.

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Sandra

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