Assise, hagarde dans la salle d’interrogatoire, elle se demande comment elle a bien pu en est arrivé là.   

Un rouge à lèvres un peu plus soutenu, pour mettre sa bouche en valeur. Du fard à paupière, du blush sur les joues, un peu de highlight sur l’arrête de nez et du menton. Une touche de parfum. Martine se prépare pour la remise des diplômes. Satisfaite, elle se regarde dans le miroir, et s’adresse un clin d’œil. Une chance, elle ne fait pas ces 53 ans. Sa petite robe noire mettra ses cheveux roux en valeur et dissimulera ces fichus kilos pris durant l’hiver. De toute façon la toge camouflera le tout.   

Dans son sac, elle glisse ses lunettes, le discours qu’elle doit prononcer et engloutit un bonbon à la violette en fermant la porte. Tant pis pour les calories. Dehors, le soleil d’avril lui réchauffe le visage, ce sera une belle journée.   

Martine aime ces grands rassemblements festifs. Les étudiants sont fiers de recevoir leur diplôme, et les enseignants heureux d’avoir participé à leur réussite. 

Il lui en a fallu de la détermination pour en arriver là ! 

–       Tu es pugnace, lui disait sa mère

Martine ne l’a jamais pris comme un compliment, mais force est de constater qu’elle s’est accrochée et a emprunté des chemins de traverses avant de pouvoir enfiler cette toge ! Elle n’est pas née avec un stylo en or dans la bouche, elle. Elle a suivi des études sur le tard, en travaillant. Il a fallu qu’elle lutte contre l’image de mauvaise élève qui lui collait à la peau depuis l’enfance. Chaque diplôme obtenu était pour elle, plus qu’une réussite, il estompait le sentiment d’infériorité, voire d’imposture qu’elle ressentait, mais sans réellement le faire disparaitre. Rien que d’y penser son estomac se noue et elle se sent triste pour la petite fille timide qu’elle était.  

Elle doit beaucoup à Antonin qui a cru en elle. Ses multiples expériences professionnelles, son opiniâtreté à poursuivre ses études ont été un atout pour son recrutement. Certes, elle n’a pas le profil classique des enseignants chercheurs. Une thèse soutenue à 49 ans, un carnet d’adresse limité, peu de publications à son actif, compte tenu de son âge, mais une pratique et une expertise qui contrebalancent largement ces faiblesses.  

Mais tous ne sont pas de cet avis. Son récent rapport d’évaluation lui a fait l’effet d’un uppercut ! Il l’a replongé dans les affres du néant, de la nullité et de l’humiliation.  

–       Antonin, regarde, rien, aucun article publié depuis 4 ans n’a été pris en compte ! 

–       Je ne comprends pas, essaye de prendre rendez-vous avec Andréa pour tirer cette situation au clair

–       Ce rapport me fait passer pour une incapable, il empêche toute évolution ! Il ne me connait même pas et il signe d’un trait mon arrêt de carrière. 

Après l’affront, elle a vu rouge. Elle a cherché, en vain à plaider sa cause auprès de ce jeune vice-doyen attaché à la recherche récemment recruté. Ses demandes de rendez-vous sont toutes restées sans réponse. Elle voit souvent ce grand dadet échevelé traverser la cour à grandes enjambées, mine de rien, content de lui. Jouir de ce poste de pouvoir sans imaginer un instant le chaos que son inconséquence peut laisser dans son sillage. Elle ne va pas en rester là ! 

La cour de l’université est en effervescence. Le beau temps ajoute une touche festive à l’ambiance générale. Les étudiants attentent impatiemment leur diplôme. Martine suit le fléchage pour récupérer sa toge avant la cérémonie. Elle avance dans les dédales des sous-sols et retrouve ses amies Sandrine, Julie, Agnès et Suzanne. Ce sont des embrassades, des gloussements lors des essayages et les selfies, pour d’immortaliser la scène. Ce qui est sûre c’est qu’elles ne se prennent pas trop au sérieux. Il n’en est pas de même pour tous. Certains enfilent cette pelisse noire comme un vêtement sacré capable de matérialiser leur intelligence.

–       Ils oublient que l’habit que ne fait pas le moine, marmonne Martine.

 Elles les regardent, ricanent puis rejoignent le grand amphithéâtre pour la cérémonie. 

Martine se faufilent entre les rangées, pas trop loin de l’estrade. Elle doit pouvoir intervenir et remettre les diplômes aux lauréats de la licence. Julie la suit, depuis 4 ans elles travaillent ensemble et ont tissé une belle complicité. Ils défilent un à un. Président, doyens, vices-doyens. Martine fixe Andréa qui joue avec son Mont Blanc plaqué or pendant qu’il prononce son discours avec désinvolture. Il plaisante avec l’assemblée, se veut sympathique, accessible. Martine serre les dents, elle les mains moites. 

–       J’essaye de le voir juste après  

–       Il risque de se sauver, dit Julie

Alors qu’elle rejoint l’estrade, en chaussant ses lunettes et croquant un bonbon à la violette, elle le voit s’éclipser. Elle envoie un clin d’œil à Julie en le montrant du menton. Martine fait son discours en se contorsionnant pour le repérer. Il parle avec les collègues du master, pourvu qu’elles le retiennent. Elle en vient aux félicitations et commence à appeler chaque étudiant de la licence pour lui remettre son diplôme. Il s’en va. Sitôt le dernier passé, elle se précipite, trébuche sur la dernière marche et se rattrape in-extremis au bras de Julie qui la rejoint.

–       Il faut que je le voie, on se retrouve après. 

Martine soulève le bas de sa toge trop longue, récupère son sac, et part en courant.  Andréa à disparu. Plantée au milieu de la cours, elle ne sait pas par où commencer ses recherches.

–       Ah, Antonin ! Tu tombes à pic. Je cherche Andréa, tu ne l’as pas vu ? 

–       Non, mais je vois que tu ne perds pas espoir ! 

Il doit être dans son bureau, elle monte les vieux escaliers en colimaçon.  Arrivée au deuxième étage, elle entend des rires, une conversation téléphonique. La porte est entrouverte elle s’approche. Son cœur bat la chamade et ses oreilles bourdonnent. Ce moment tant attendu la laisse à présent sans force. Elle redoute sa réaction. Elle frappe à la porte. Il raccroche. 

–       Bonjour Andréa.

–       Bonjour …….

Il ne la reconnait pas.

–       Martine

–       Oui ! bien sûr Martine.

–       Je suis désolée de venir à l’improviste mais j’ai essayé de vous joindre à de nombreuses reprises.  

–       Asseyez-vous. Vous allez rire mais avec ces nouvelles fonctions, Je suis tellement surchargé de travail que je n’ai pas le temps de lire mes mails. Dit-il en tripatouillant son Mont-Blanc

–       …

Martine, ne chôme pas et lit pourtant tous les siens. 

–       Qu’est-ce qui vous amène ? 

–       C’est au sujet de mon rapport d’évaluation.

–       Oui… ?

Devant son arrogance Martine reprend du poil de la bête 

–       Je cherche à vous joindre depuis plusieurs mois pour que vous reconsidériez mon rapport d’évaluation qui ne prend en compte ni mon parcours, ni mes interventions dans des colloques, ni les publications que j’ai faites depuis 4 ans. Il n’est pas représentatif de mon évolution et il me dessert énormément.  

–       Est bien grave Martine ? Avez-vous des projets particuliers ? 

–       Non, mais c’est important pour moi ! 

Il se lève, ouvre l’armoire derrière lui, farfouille dans ses chemises, décapuchonne son stylo apporte quelques annotations.

–       En fait, je n’ai pas vraiment lu votre dossier, dit-il tout sourire, comme pour s’excuser. J’ai repris le rapport de mon prédécesseur. 

–       Je m’en suis rendue compte, dis Martine qui reprend de plus en plus d’assurance et qui sent la colère gronder en elle

–       Pouvez-vous le modifier ?

–       Et bien, je crains fort que ce ne soit pas possible avant 4 ans, dit-il en se retournant, et à votre âge… 

Son sang ne fait qu’un tour elle se lève, se précipite sur lui, toutes griffes dehors, se prend les pieds dans cette maudite toge, trébuche sur le vice-doyen à la recherche qui s’affale face contre terre dans l’armoire. 

Elle se relève bredouille de vagues excuses. Et attend qu’il se redresse.

–       Andréa, je suis sincèrement désolée de m’être emportée. Néanmoins votre remarque au sujet de mon âge était tout à fait déplacée. Dit-elle en prenant un bonbon à la violette pour se calmer.

–       Andréa ?   

Martine se penche vers lui, lui tapote l’épaule, tente de le retourner. C’est à ce moment qu’elle aperçoit le corps dodu stylo enfoncé de la poitrine d’Andréa.

–       J’ai tué le vice-doyen à la recherche d’un coup de Mont-Blanc en plein cœur se dit-elle abasourdie.  

Une Nouvelle de Laurence Zigliara – Promotion Ecrire un Livre

Laisser un commentaire

Sandra

L'écriture est une passion, le web un outil de communication. Experte en rédaction web SEO et écriture littéraire, je vous apprends comment écrire pour changer de vie et je rédige pour votre site web des contenus efficaces